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Sobriété : une valeur en hausse

jeudi 6 avril 2023

Portée depuis longtemps par les penseurs et les associations environnementales, la sobriété fait un retour en force dans les discours publics et les médias.
Cette démarche semble plus adaptée à la crise écologique actuelle, que les concepts de développement durable ou de croissance verte, qui ont montré leurs limites.
Il ne s’agit pas ici de faire le tour de cette vaste question de la sobriété, mais de tenter d’éclairer les éléments du débat.

Définition et contexte de la sobriété
Notion très ancienne, et longtemps vertu cardinale, la sobriété voit son sens élargi dans le contexte de la transition écologique [1]. Elle regroupe aujourd’hui des réalités multiples à travers des démarches de frugalité, simplicité, ou la fin des gaspillages.

"Le dénominateur commun des diverses approches de la sobriété est la recherche de modération dans la production et la consommation de produits, de matières, ou d’énergie, avec deux grandes tendances : d’un côté l’approche de l’Etat et du monde économique, centrée sur la recherche d’efficacité et compatible avec la croissance économique, et de l’autre une approche émergeant dans des mouvements citoyens et associatifs, centrée sur une transformation plus profonde des pratiques individuelles et des modes de vie " [2]

La démarche de sobriété ne se limite pas à l’énergie, mais concerne toutes les ressources naturelles, en particulier l’eau et les sols [3], et s’adresse à l’ensemble des acteurs (particuliers, collectivités, entreprises, Etat…).
Elle inclut aussi la lutte contre le gaspillage alimentaire, dans laquelle est investi depuis longtemps, le Centre de Ressources d’Écologie Pédagogique de Nouvelle-Aquitaine (CREPAQ).
La sobriété, ultime étape avant le rationnement, est une démarche collective et négociée de répartition équitable de la finitude globale, sous la houlette de l’Etat.
2 faits ont largement contribué en 2022 à accélérer dans notre pays la prise de conscience de cette finitude : la guerre en Ukraine qui a révélé notre dépendance aux énergies fossiles et cet été infernal, qui a confirmé la réalité du dérèglement climatique.

Sobriété énergétique
Pour le réseau France Nature Environnement et notre fédération, la sobriété énergétique constitue l’un des 3 leviers de la transition énergétique, avec l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, dans l’objectif de sortir des énergies fossiles et fissiles.
Aucune des énergies renouvelables, n’étant indolore vis-à-vis de l’environnement ou de la biodiversité, seule une démarche de sobriété permettra de minimiser ces impacts.
«  La sobriété énergétique est une démarche volontaire et organisée de réduction des consommations d’énergie, par des changements de mode de vie, de pratiques, de valeurs, de comportements et de modes d’organisation collective. » Cette démarche, qui comporte des enjeux techniques, économiques, sociaux et politiques essentiels [4], se décline à l’infini : sobriété des transports, mobilité douce, sobriété des logements, sobriété numérique, sobriété lumineuse, etc…
Elle nous concerne tous, à l’exception bien sûr de ceux qui vivent dans la précarité énergétique. [5]
La question énergétique est d’autant plus complexe qu’elle est au cœur du fonctionnement de notre société et qu’elle interagit avec l’ensemble des autres secteurs. Ainsi, la production d’électricité à partir de centrales nucléaires ou la production de biocarburant à partir du maïs irrigué, consomment beaucoup d’eau, ressource naturelle limitée. [6]. De même le développement des parcs photovoltaïques au sol, comme le titanesque projet Horizeo de 1000 hectares à Saucats, constitue un accélérateur de l’artificialisation des sols, et en particulier de la forêt qui compte parmi les principaux puits de carbone.
Enfin, la différence est étroite entre la sobriété énergétique et la fin du gaspillage : ainsi l’interdiction du chauffage des terrasses de café en hiver, décrétée en mars 2022, relève de ces 2 notions.

Plan de sobriété énergétique d’octobre 2022
Face aux difficultés d’approvisionnement en gaz et à l’indisponibilité de notre parc nucléaire, le gouvernement a lancé dans l’urgence en octobre 2022 un plan de sobriété énergétique [7], destiné à réduire rapidement la consommation énergétique de 10%.
Ce plan propose 15 mesures phares de court terme et de bon sens, afin de « passer l’hiver ». Il reste à souhaiter que l’élan de sobriété initié par l’Etat, se maintienne, une fois l’urgence passée.
A noter le rôle important des médias et de la publicité, dans l’incitation des comportements individuels vers des pratiques plus sobres, plutôt que vers la surconsommation d’objets ou de déplacements énergivores.

Sobriété foncière
Malgré les dispositifs de régulation mise en place (CDPENAF, SCOT…), la consommation foncière se poursuit.
Ainsi, entre 2011 et 2021, 234 000 hectares sont passés d’un usage naturel, agricole ou forestier (NAF), à un usage urbanisé, pour l’habitat, l’activité économique ou les infrastructures de transports. Ce phénomène d’artificialisation des espaces a un impact irréversible sur la biodiversité, le climat ou les ressources en eau.
D’où la nécessité de la sobriété foncière. C’est un des buts de la loi Climat et Résilience du 22/08/2021, qui impose de réduire la consommation d’espace par deux d’ici dix ans, et fixe l’obligation d’atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050. « Cet objectif amène à considérer les sols comme une ressource naturelle à préserver, dans le triple contexte du dérèglement climatique, d’effondrement de la biodiversité et d’enjeux de souveraineté alimentaire. » [8]
Force est de constater une forte résistance de certains acteurs économiques ou politiques face à cet objectif de sobriété foncière, qui freine leur croissance ou leurs intérêts économiques. [9]
Ainsi le projet de ligne à grande vitesse (LGV GPSO) Bordeaux/Toulouse et Bordeaux/Dax viole ostensiblement les objectifs de la loi Climat et Résilience, en artificialisant 4800 hectares de territoires NAF, auxquels il convient de rajouter les centaines d’hectares de gravières, nécessaires à l’approvisionnement des matériaux du chantier.
De même, le projet d’aménagement de la zone d’activités économiques dédiées à la filière « dirigeables » à Laruscade (33) pose question par sa consommation d’environ 75 hectares, d’espaces naturels et forestiers.

Sobriété des usages de l’eau (sobriété hydrique)
La sécheresse sans précédent de l’été 2022, a souligné toute la fragilité de nos ressources en eau, et l’inéluctable nécessité de renforcer la sobriété hydrique. Les scientifiques prévoient une baisse importante des précipitations dans le Sud-Ouest dans les années à venir, qu’il convient d’anticiper « La sobriété dans notre consommation d’eau est inévitable  ». [10]
. L’eau, bien commun, est une ressource vitale pour les systèmes humains et naturels (notamment la faune aquatique).
Au-delà des petits gestes au quotidien, l’ensemble des utilisateurs est concerné par la sobriété hydrique, à la hauteur de leur consommation d’eau : agriculteurs (48%), ménages (24%), énergie (22%), industriels (6%).
Afin d’amener les agriculteurs irrigants du Sud-Ouest à diminuer leurs prélèvements, et à changer de pratiques avec des cultures moins consommatrices en eau, les associations environnementales [11] ont contesté juridiquement en 2021 l’Autorisation Unique de Prélèvement (AUP) concédée au syndicat mixte Irrigadour.
La profession agricole rechigne, dans sa grande majorité, à s’adapter au changement climatique et à s’inscrire dans le cadre d’un partage équilibré d’une ressource en eau toujours plus limitée.
Dans les organismes paritaires (commissions locales de l’Eau, comité de Bassin Adour Garonne, SAGE…) qui assurent la gestion qualitative et la planification locale des usages de l’eau, les représentants de la SEPANSO militent depuis longtemps, avec plus ou moins d’écoute, en faveur des économies d’eau.
Procédure ultime en période de crise (sécheresse, débit d’étiage trop faible…), les mesures de restriction temporaire des usages de l’eau, synonyme de rationnement, sont prises, afin de garantir les besoins prioritaires (eau potable…) [12] . Il est extrêmement choquant que l’arrosage des golfs, ait pu être autorisé lors de la canicule de l’été 2022 !
A défaut d’efforts collectifs, il est à redouter que les conflits d’usage de l’eau se durcissent avec la raréfaction de la ressource, conduisant à la « guerre de l’eau », comme on l’a vu lors de la construction illégale de la retenue de Caussade en Lot-et-Garonne, ou lors de la multiplication de projets de « bassines » dans l’ex-région Poitou Charentes.

Conclusion
L’empreinte écologique des 8 milliards d’humains et de leur 1,2 milliard de véhicules à moteur, dépasse largement les possibilités du système Terre, avec des écarts considérables entre ceux qui se goinfrent [13] et ceux qui vivent dans la précarité.
Pour beaucoup, « la sobriété est devenue une des conditions de la survie de l’espèce humaine » [14].

DD

Article publié dans Sud-Ouest Nature N°198

Mise en ligne du 06/04/2023
Mise à jour du 15/05/2023


[1Environnement : la sobriété comme levier essentiel de la transition. Stéphanie Monjon.04/01/2023
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/287697-environnement-la-sobriete-comme-levier-essentiel-de-la-transition

[2Panorama sur la notion de sobriété. ADEME. Novembre 2019.
https://librairie.ademe.fr/dechets-economie-circulaire/489-panorama-sur-la-notion-de-sobriete.html

[3La sobriété : définition, enjeux et impacts. France Nature Environnement. 18/10/2022 https://fne.asso.fr/dossiers/la-sobriete-definition-enjeux-et-impacts

[4Sobriété énergétique. Contraintes matérielles, équité sociale et perspectives institutionnelles. B. Villalba ,L. Semal et al. Editions Quae. 2018. https://books.openedition.org/quae/16510

[5« Est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat »

[6La centrale nucléaire de Civaux prélève chaque année 104 millions de m3 dans la Vienne, pour produire environ 20TWh d’électricité, soit 5 m3 par MWh. La production annuelle des 500 000 tonnes maïs-grain dans le Sud-Ouest, à destination des usines de biocarburant, nécessite 55 millions de m3 d’eau, soit environ 1000 litres d’eau par litre de bioéthanol destiné à nos véhicules

[7Plan de sobriété énergétique. Gouvernement français.06/10/2022 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf

[8Sobriété foncière : la clé pour des sols et territoires vivants. CEREMA. 16/11/2022.https://www.cerema.fr/fr/actualites/sobriete-fonciere-cle-sols-territoires-vivants-cerema

[11Recours conjoint de France Nature Environnement Midi Pyrénées, France Nature Environnement 65, les Amis de la Terre 32 et la SEPANSO 40, contre l’Autorisation Unique de Prélèvement d’IRRIGADOUR. Le tribunal administratif de Pau puis la Cour administrative d’appel de Bordeaux ont donné raison aux associations en retoquant cette AUP. Cf Sud-Ouest Nature N°190 du 1er trimestre 2021 : Des agriculteurs irrigants qui s’estiment au-dessus des lois.

[12Guide de mise en œuvre des mesures de restriction des usages de l’eau en période de sécheresse. Ministère de la Transition Ecologique. Juin 2022 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Guide_secheresse.pdf

[13Provocation climatique à Bordeaux ?https://www.sepanso33.org/spip.php?article297

[14Pierre Rosanvallon. La Société des égaux