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Impact du réchauffement climatique sur le potentiel de production électrique de la centrale du Blayais

mercredi 27 juillet 2022

Le réchauffement des eaux de l’estuaire de la Gironde est un facteur limitant de l’utilisation de la centrale nucléaire de Blaye.
Dans son avis du 6 février 2019, l’IRSN a estimé que la démonstration de la capacité des installations nucléaires à faire face aux situations de « grands chauds » n’est pas pleinement apportée à ce stade et doit être complétée par EDF.
En cet été torride 2022, les épisodes répétés de canicule ont conduit l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), à autoriser provisoirement, sur demande de RTE, plusieurs hausses de la température de rejet des eaux de refroidissement de la centrale du Blayais dans l’estuaire de la Gironde.
Etonnamment, ni le Conseil de gestion du Parc Naturel Marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, ni le SAGE Estuaire, n’ont été saisis pour avis, de ces dérogations qui sont susceptibles d’impacter fortement la biodiversité aquatique de l’estuaire.
Ces dérogations successives démontrent, à ceux qui en doutaient encore, de la réalité du réchauffement climatique dans notre région Nouvelle Aquitaine.

La centrale nucléaire du Blayais comporte quatre tranches à eau sous pression (PWR), d’une puissance unitaire de 925 MW.
Les mises en service industrielles ont été effectuées :
• le 1er décembre 1981 pour la tranche 1,
• le 1er février 1983 pour la tranche 2,
• le 14 novembre 1983 pour la tranche 3,
• le 1er octobre 1983 pour la tranche 4.
Chaque tranche a besoin, pour le refroidissement du condenseur, d’un débit d’eau moyen de 42 m3.s-1, soit 168 m3.s-1 pour 4 tranches en service.
Cette eau est prélevée dans le chenal de Saintonge à environ 380 m de la rive, au niveau du pK 52 de la Gironde large de 4,5 km. L’eau chauffée est rejetée en Gironde dans le chenal médian, situé entre les bancs de St Estèphe et de St Louis, à environ 2000 m de la rive.

L’Arrêté du 18 septembre 2003, pris à la suite de la canicule de 2003 et autorisant Electricité de France à poursuivre les prélèvements d’eau et les rejets d’effluents liquides et gazeux pour l’exploitation du site nucléaire du Blayais, fixe le cadre réglementaire de la température maximum des rejets :

  • La température des rejets en berge ne doit pas dépasser 30 °C.
    Pour les rejets en berge, la différence de température des eaux rejetées par rapport à la température des eaux du milieu récepteur doit être inférieure ou égale à + 1 °C.
  • Les dispositions suivantes relatives à la température des rejets des eaux de refroidissement doivent être satisfaites sur le site :
  • La température des eaux de refroidissement rejetées dans l’estuaire de la Gironde ne doit pas dépasser 30 °C, cette valeur est mesurée en permanence en aval des déversoirs D1 a D4, sur chaque puits d’échantillonnage CRF ;
  • Cette température maximale est portée à 36,5 °C [1] du 15 mai au 15 octobre ;
  • Sur chaque réacteur, la différence (delta T) entre la température des eaux prélevées de la Gironde et la température des eaux de refroidissement rejetées ne doit pas dépasser 11 °C ;
  • La température des eaux de la Gironde mesurée sur une période de 3 heures consécutives sur les deux thermographes amont et aval (n°s 2 et 5), à 50 m des ouvrages de rejet situés en milieu d’estuaire ne doit pas dépasser 30 °C.

Le dépassement du critère de température de 30 °C dans l’estuaire conduit l’exploitant à réduire la puissance thermique d’un ou de plusieurs réacteurs. Cette réduction de puissance doit être significative pour abaisser le plus rapidement possible, la température des eaux du milieu. Le retour à la puissance souhaitée ne peut être effectué qu’après constatation pendant au moins trois heures consécutive

L’exploitation complète de la capacité de production de la centrale entraîne une augmentation de 10 à 11°C, soit environ 1°C pour 340 MW. En cas de dépassement des seuils réglementaires, la puissance doit donc être réduite d’environ 340 MW par degré excédentaire.

Pour l’exploitant de la centrale, le principal facteur limitant est la température du rejet.
La contrainte thermique se traduit par une adaptation de la production, pour éviter le dépassement des seuils réglementaires.
Les 4 tranches de 925 MW à pleine puissance génèrent une augmentation de 10°C de la température du rejet.
Pour un fonctionnement à pleine puissance la température maximale de l’estuaire en amont de la prise d’eau ne doit pas dépasser :
• 30°C-10 °C = 20°C du 16 octobre au 14 mai,
• 36,5°C-10 °C = 26,5°C du 15 mai au 15 octobre.

A l’horizon 2040 , il est probable que le fonctionnement de la centrale du Blayais (en supposant que cette centrale soit toujours en activité malgré ses 60 ans d’âge !) soit perturbé durant au moins 25 jours par an en plus qu’actuellement, conduisant à une baisse de production d’environ 100 000 MWh par an.

(Source : Evaluation des impacts du changement climatique sur l’estuaire de la Gironde et prospective à moyen terme. Phase 1 : analyse des enjeux liés à l’eau. Décembre 2008. http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Etude_impacts_climatique_phase1.pdf)

Eté 2018 : Modulation de la puissance des unités de production n°2 et 3 de la centrale du Blayais
Communiqué EDF du 06/08/2018
https://www.edf.fr/groupe-edf/nos-energies/carte-de-nos-implantations-industrielles-en-france/centrale-nucleaire-du-blayais/actualites/modulation-de-la-puissance-des-unites-de-production-ndeg2-et-3-de-la-centrale-du-blayais
"Depuis dimanche 5 août 2018, 18h00, et jusqu’au jeudi 9 août 2018, la centrale du Blayais module la puissance des unités de production n°2 et 3 en raison des conditions climatiques actuelles. Ces baisses de puissance sont nécessaires pour respecter les autorisations de rejets dans l’estuaire de la Gironde.
La centrale nucléaire du Blayais prélève de l’eau dans l’estuaire pour assurer le refroidissement de ses unités de production et pour alimenter les différents circuits nécessaires à son fonctionnement. La température de l’eau rejetée dépend directement du niveau de puissance des installations.
En cas de fortes chaleurs, la centrale a la capacité de moduler la puissance de ses unités de production afin de limiter l’échauffement de l’eau de l’estuaire.
Cette adaptation aux conditions climatiques réduit la quantité de mégawatts produits mais n’a aucun impact sur la sûreté des installations.
Des prélèvements et rejets strictement encadrés.
La centrale du Blayais respecte les décisions de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) réglementant les prises d’eau et rejets d’effluents. Ces décisions fixent plusieurs critères dont un de température maximale des eaux rejetées de 36,5°C, du 1er mai au 15 septembre (30°C le reste de l’année). Ces limitations ont été établies sur la base d’études scientifiques afin d’éviter toute conséquence sur la flore et la faune aquatique.
"

Avis de l’IRSN du 6 février 2019 :
Grands chauds
Lors des canicules de 2003 et 2006, les températures de l’eau et de l’air observées sur les sites ont été nettement supérieures à celles retenues à la conception des centrales nucléaires. À la suite de ces événements, EDF a élaboré un référentiel « grands chauds » afin de réévaluer la sûreté des installations pour des températures extérieures supérieures, susceptibles d’être atteintes à l’horizon 2042 en tenant compte du réchauffement climatique. Pour le réexamen VD4-900, EDF a réévalué les températures extérieures à considérer et mis à jour les études thermiques visant à montrer la robustesse des installations, et ce en intégrant les demandes formulées par l’ASN en 2013 sur le référentiel « grands chauds ».
L’IRSN a examiné la démarche et les hypothèses utilisées par EDF (données, hypothèses et modèles statistiques, prise en compte des incertitudes…) pour définir les températures de l’air (température de longue durée TLD pour les « grands chauds de redimensionnement » ; température exceptionnelle TE et température minimale Tmin de la sinusoïde définie pour l’« agression canicule ») et les valeurs d’humidité. L’IRSN souligne, notamment en réponse à des questions posées au cours du dialogue technique organisé avec l’ANCCLI, que ces températures prennent en compte l’impact du changement climatique. L’IRSN considère qu’EDF doit néanmoins revoir certains aspects de sa méthodologie, notamment la période de retour considérée, pour déterminer les températures TE et Tmin en « agression canicule ». Ce point fait l’objet de la recommandation n°1. Pour les sites de Gravelines, Blayais, Cruas, Dampierre et Saint-Laurent-des-Eaux, dans le cas où les réévaluations demandées dans cette recommandation ne pourraient pas être finalisées par EDF dans des délais compatibles avec leur examen (au plus tard deux ans avant la VD4), l’IRSN estime que les valeurs à retenir pour ces sites dans le cadre de leur VD4 devraient être au minimum les suivantes :
 pour le site du Blayais, une température TE de 44°C et une température Tmin de 29°C ;
L’IRSN a ensuite examiné le bilan transmis par EDF des études réalisées pour vérifier la tenue en température des matériels de sûreté, dans les scénarios de fonctionnement normal, incidentel ou accidentel considérés dans le référentiel « grands chauds ». L’IRSN relève, dans les résultats de ces études, que de nombreux matériels, notamment de sauvegarde, présentent de faibles marges entre leur température maximale admissible et la température atteinte dans leur local d’implantation. Cela constitue une fragilité de la démonstration de la protection des installations contre les « grands chauds », notamment au regard des incertitudes qui existent dans les calculs thermiques réalisées par EDF à l’aide du code ThBAT. EDF s’est ainsi engagé, pour les locaux présentant des enjeux de sûreté importants et de faibles marges de tenue en température des équipements qu’ils abritent, à reprendre les études thermiques à l’échéance de fin 2021, afin de s’assurer de l’existence de marges. L’IRSN estime que, dans les cas où des marges insuffisantes subsisteraient à l’issue de ces nouvelles études, EDF devrait proposer des modifications permettant de garantir la tenue en température des matériels concernés...
EDF n’a pas fourni, pour le réexamen VD4-900, d’élément relatif à la tenue en température des matériels nécessaires pour gérer des situations du domaine complémentaire, ni en termes de démarche, ni en termes d’évaluation. À cet égard, EDF s’est engagé, à échéance de fin 2021, à étendre le référentiel « grands chauds » aux hypothèses des études thermiques associées aux situations du domaine complémentaire. Toutefois, en l’état actuel, le dossier présenté par EDF ne permet pas de vérifier la capacité des réacteurs de 900 MWe à faire face aux situations du domaine complémentaire dans des conditions de températures extérieures élevées. Ce point fait l’objet de la recommandation n°2.
Afin de respecter les préconisations de WENRA, EDF a défini des températures « canicule WENRA », obtenues en appliquant une marge de 2°C aux températures TE et Tmin, et s’est assuré que les réacteurs de 900 MWe peuvent y faire face sans faire appel à des dispositions de protection complémentaires à celles déjà valorisées au titre du dimensionnement. L’IRSN estime que cette marge n’est pas suffisante pour tenir compte des incertitudes liées à l’évaluation des températures pour une période de retour décamillénale.
En outre, les études relatives à la capacité des installations à faire face à un tel aléa, dont seuls les principales hypothèses et les résultats ont été transmis, valorisent des hypothèses particulières qui ne sont pas suffisamment justifiées. Par conséquent, l’IRSN ne peut se positionner, à ce stade, sur la capacité des réacteurs de 900 MWe à maîtriser une agression « canicule WENRA ».
Pour ce qui concerne la prise en compte d’un aggravant en situation de canicule, EDF a transmis une étude de sensibilité qu’il s’est engagé à compléter lors de la reprise des études thermiques prévue fin 2021. L’IRSN souligne que, compte tenu du délai associé à l’engagement d’EDF, la démonstration complète ne sera pas apportée pour le redémarrage du réacteur n°1 du site du Tricastin.
En conclusion, l’IRSN estime que la démonstration de la capacité des installations à faire face aux situations de « grands chauds » n’est pas pleinement apportée à ce stade et doit être complétée par EDF.

A lire  :
 Menaces sur les centrales nucléaires. Thierry Gadault. JDD. 30/06/2019
https://www.lejdd.fr/Societe/climat-les-centrales-nucleaires-menacees-par-la-penurie-deau-3907393
 France : Blayais, Bugey, Fessenheim, Saint-Alban : Arrêts en cascade et baisses de puissance des réacteurs nucléaires à cause de la chaleur. Réseau Sortir du Nucléaire. 06/08/2018
 Climat : la production nucléaire ralentie par la sécheresse France Info . 12/05/2022

Mise en ligne du 01/10/2012
Mise à jour du 23/08/2022


[1Cette température maximale des rejets de 36,5°C impacte la biodiversité et les milieux estuariens